virginie BASTY : peintures de vie

corps et grand format

Corps et grand format : une relation stimulante :

                                      L'emploi du grand format entraîne logiquement une technique différente de celle utilisée pour la peinture de chevalet. Cette technique sollicite fortement le corps du peintre qui doit ici faire face à une échelle supérieure à lui.
Cette question a été abordée lors d'une rencontre avec Alain Clément. Il a répondu que pour lui « la peinture grand format est un engagement à l'échelle du corps, peindre dans un petit format c'est s'ouvrir une fenêtre alors que le grand format permet d'ouvrir un espace. » Cette peinture porte l'idée de la perte de soi et de l'absence de repères absolus. On est dans un espace inconnu où l'on perd pied. L'expérience du grand format entraîne le corps dans un rapport nouveau qui le plonge au cœur d'un œil qui le regarde. Au-delà de toute théorie, la peinture absorbe le corps comme une nécessité physique qui peut entraîner une production urgente et impossible.

Cette expérience est également forte pour le public. Lui aussi est entraîné dans d'autres relations à la peinture. Le grand format ne se limite pas à une perspective intérieure mais le peintre désigne une place inédite pour le spectateur. Il décide de l'endroit où il veut nous emmener et le grand format l'aide à cela.

La nécessité intérieure de l'artiste est finalement le seul fondement et la seule justification de l'œuvre d'art. Cette vie spirituelle qu'il est du devoir de l'artiste d'incarner dans son œuvre se manifeste non seulement dans « les actes que chacun peut voir, les pensées et les sentiments susceptibles de s'exprimer au dehors » mais « aussi les actes cachés, ignorés de tous, les pensées informulées, les sentiments qui n'ont pas trouvé leur expression (tout ce qui se passe au-dedans de l'homme) ».
 Les actes de l'artiste et de l'homme s'inspirent de réalités intérieures et absolues.
L'espace objectif et le temps chronologique ne comptent plus pour eux car seuls existent le temps et l'espace de leur geste.
Pour le peintre, la toile est une conscience qui commande ses gestes. Le rôle de l'auteur est pure obéissance à ce qui s'opère en lui et c'est en spectateur qu'il assiste à la naissance de son œuvre.
Les dimensions de ces toiles ne résultent pas d'un concept spatial mais de l'espace vital disponible dans lequel le peintre se déplace. Etalant la toile sur le sol, il marche autour et au besoin dedans. La matière picturale suit les mouvements de sa main, de son bras et de son corps. Les gestes s'installent ainsi sur la toile comme une manifestation de la vie. Le peintre est satisfait lorsqu'il sent l'apaisement de l'envie de peindre et peut alors s'arrêter. Cette peinture est un art d'expression à travers le corps dans l'immédiateté de l'expérience physique.
La profession de peintre doit être profession de foi, profession de vie. L'artiste vit physiquement dans son espace pictural. 

 Celle-ci ne doit pas être un espace que l'artiste remplit mais un espace dans lequel il se manifeste en tant qu'être.
L'art du geste revendique à sa façon les droits de l'être humain devant la civilisation et devant l'histoire. Devant un matérialisme et une déshumanisation croissants, la peinture gestuelle revalorise l'humain et sauve l'existence individuelle de l'aléniation sociale.

L'artiste ne pense pas l'espace, il laisse vivre son corps. La conscience du peintre sera la conscience de son corps. Le corps est un matériau que l'artiste forme, déforme, maltraite dans son œuvre afin de développer son discours. Les grands formats instaurent un rapport au corps qui influe sur la vision. Ainsi, les contours s'estompent jusqu'à donner l'impression que nous pénétrons dans un espace infini. Cette impression est renforcée par une absence d'encadrement qui favorise l'expansion du champ coloré au-delà des limites définies par la toile.


Plus qu'un objet, le grand format devient un lieu réservé à l'artiste, un véritable espace de création sans limites qui aspire et transforme la vision. Il est très impressionnant de se retrouver en train de marcher sur une toile de plusieurs mètres.
La peinture grand format, c'est ne rien perdre lorsqu'on jette la peinture sur la toile, c'est avoir une liberté absolu de mouvements, sans peur aucune. C'est ne rien penser, ne rien reproduire. Ni formes du monde, ni ressemblances au monde, mais l'expression de son propre monde. Il y a le chaos et on fait jaillir l'existence de celui-ci.

La technique appelée « la peinture sans os » consiste à poser la couleur sans contours ni frontières et sans qu'un dessin préalable ne vienne la guider. Cette peinture vit d'accidents, de zigzag, d'ouvertures, de frottements, de petits miracles, de découvertes. C'est une peinture de l'âme, puissante ou introvertie, affirmée ou indéfinie. Elle est une rencontre avec un être qui laisse entrevoir son existence.
Le grand format, est aussi cela : un espace de méditation où le corps, pris dans cet horizon, n'a d'autre intérêt que de faire valoir ses pulsions créatrices et ses envies. On n'y trouve aucune de ces limites créées par les codes sociaux habituels et qui ne font que restreindre l'artiste. Le corps fait œuvre dans le sens où il est totalement impliqué à l'intérieur de son oeuvre, physiquement est psychiquement, répondant à une nessecité intime viscérale.
Notre but n'est pas de démontrer que la peinture de grande taille est meilleure qu'une autre mais simplement qu'elle est originale dans sa pensée, sa conception et sa réalisation. Chaque étape d'une peinture grand format nous éloigne un peu plus de la peinture de chevalet car l'implication physique de son auteur est absolument différente.


 



31/08/2005
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